<

Le joueur de flûte, portrait de Georges d'Espagnat, 1895

Huile sur toile
129 x 160 cm

Provenance : 
Galerie Maurice Chalom, Paris
Collection privée, Dallas
Wildenstein & Co, New-York
Collection privée, New-York depuis nov.1971

Exposition :
Salon d'Automne, Exposition rétrospective d'oeuvres de Louis Valtat, octobre-novembre 1952, Grand Palais, Paris, 1952, n°1477 (reproduit p.36 du catalogue).

Attestation d’inclusion au catalogue de l’œuvre de Louis Valtat en cours de préparation par les archives de l’association Les amis de Louis Valtat.

 

D'Espagnat par Valtat : portrait en musique d'une amitié 

En 1895, Louis Valtat peint un moment d’intimité qui dépasse le simple portrait.
À gauche de la toile, en complet sombre, son ami peintre Georges d’Espagnat est assis, tenant sa flûte. Au premier plan, attirant la lumière sur son corps à demi-nu et son jupon clair, une jeune femme lit une partition avec concentration.
Derrière eux, accrochés au mur, d’autres tableaux rappellent que nous sommes dans l’univers de l’atelier.

Rien n’est fortuit. Cette toile s’organise comme une métaphore de la création, où la partition devient le double de la toile que Valtat compose : un texte visuel transposé en sons de couleurs. La musique et la peinture se répondent comme deux arts jumeaux, trouvant leur harmonie dans le rythme et la vibration.

La toile illustre aussi l’importance des réseaux d’artistes à Paris dans les années 1890 : amitié, portraits croisés, collaborations. Georges d’Espagnat (1870–1950), ami de Bonnard, Vuillard, Renoir, partage avec eux une sensibilité intimiste. 
Dès 1895, il fréquente les mêmes cercles que Valtat, notamment la Revue Blanche, et tous deux se retrouvent dans les mêmes réseaux d’exposition, à la charnière 1890–1900, chez Durand-Ruel comme à l’Académie Julian. 
Leur proximité est attestée : d’Espagnat séjourne “à Agay chez Valtat” en février 1901 (cité par J.-D. Jacquemond, 1990), et le Museo Thyssen rappelle encore la visite de d’Espagnat à Renoir à Cagnes “en compagnie de son ami Valtat”. Ces jalons biographiques renforcent la lecture d’une fraternité réelle et durable, que ce tableau met en image.

C'est un triangle invisible qui se dessine entre les trois figures — le peintre, le musicien modèle et la muse.
 Il résume toute l’ambition de cette génération : l’art n’est pas un monologue, mais un dialogue — entre amis, entre arts, entre visible et invisible.

Ce tableau raconte une fraternité d’artistes à un moment charnière. Rien n’est documenté, aucune lettre ne l’éclaire. 
Mais c’est justement ce silence qui lui donne sa puissance : la toile parle à leur place. Elle dit l’espoir d’une peinture qui, comme la musique, vise moins à raconter qu’à faire vibrer les sens. Œuvre de jeunesse annonciatrice, elle laisse déjà poindre les recherches chromatiques et décoratives qui mèneront Valtat, quelques années plus tard, vers les audaces du fauvisme.